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A Dalloun, en grande estime.  

Bien avant la céramique, il y avait la roche-mère et sa dégradation géologique, révélant une première et longue évolution sous l’action des puissants effets métaboliques du temps. Puis l’Homme vint initiant l’éveil de la conscience face au « temps zéro ». Notre ancêtre, en sa conception profonde des mondes matériels et spirituels, s’est ouvert tant à la science, à la philosophie ou à la métaphysique, recherchant des réponses à l’alpha et l’oméga. Certes il s’est fait artiste imagier, sculpteur producteur de vénus cultuelles mais il a aussi pris la mesure des besoins les plus urgents, inventant tout ce qui est utile pour transporter l’eau et répondre aux usages culinaires. Il a interrogé la terre et ensemble ils ont conçu le vase rituel, le bol, l’écuelle et la jarre.

Au fil des siècles, dans chaque continent, chaque foyer de civilisation s’est attaché avec intelligence à produire une céramique au moyen de ses ressources minérales. Sigillée, majolique, barbotine, terre de pipe,  porcelaines naturelles et artificielles, grès cérame, parian, terre de Lorraine dite pâte de marbre, rakou, tenmoku, céladon, cuissons à basses ou hautes températures et neocéramiques constituent un immense champ d’expérimentations, d’innovations et d’applications artisanales, industrielles, technologiques ou esthétiques.

Dans cette fondation perpétuelle de l’humanité, dans laquelle l’absolu n’existe pas, Dalloun est venu avec ses valeurs, portant avec amour et passion les aspirations humanistes dont il est pétri, empruntant  à la terre le pouvoir de dire où se situent les conséquences des actes humains. La forme de ses bols, tout en marquant la présence du passé, est celle d’un contenant fondamental, elle est aussi celle d’un reliquaire dont le sens téléologique s’inscrit dans l’ascétisme et la spiritualité. Cet espace virtuel, loin d’être vide, vibre de mille existences diffuses que protègent la paroi d’argile. Celle-ci atteint une dimension universelle car elle est d’abord un langage dont la transcription formelle est bien plus ancienne que les écritures hiéroglyphiques ou les graphies cunéiformes. Tel un témoin impartial de la marche du temps, Dalloun laisse s’inscrire les stigmates des stratifications et des désagrégations minérales dans l’argile, puis il en révèle patiemment les traces géologiques par la maturation du feu. En engageant sa foi dans un degré existentiel, Dalloun l’idéaliste fusionne dans un même creuset l’acte intuitif et la connaissance de la terre. Il en tire une réflexion éthique liée aux enjeux du monde, solution qui s’exprime toute entière et sans compromission dans sa céramique qui vient en contrepouvoir aux excès de l’art intrusif. C’est ici que se rejoignent et s’additionnent ses valeurs, entre la fragilité de la nature et l’intervention humaine, un rapport rare et singulier avec la toute puissance de la pensée qui tant conserve les traces du savoir qu’elle conduit vers un avenir infini mais à définir.
 
Ce qu’introduit Dalloun dans sa céramique confine à une symbolique sémiotique. Son écriture énonce la quête d’un langage construit sur une syntaxe exprimée par le minéral et le feu, il pose à sa manière les associations qui forgent le sens de son œuvre : la forme née de la volupté que ressent la main à nourrir l’espace puis la peau terreuse qui se matte ou se vitrifie, se satine ou se polit, se brûle et se gerce en délicates trésaillures. Aucune couleur spectrale ne vient perturber cette céramique toute en nuances insondables et d’une grande justesse de matière, la terre est au paroxysme de sa pureté, sans artifice, subtilement oxydée par la présence infinitésimale de poussières d’étoiles.

Evidemment, ce n’est ni par les traditions techniques ni dans la plastique contemporaine que Dalloun fonde son art : il est ailleurs et intérieur, peut-être au fond des bois et proche de nos cœurs. Tel un elfe libre et bienfaisant qui sait intuitivement où se trouve la sagesse tutélaire et nous en indique un chemin incertain mais salutaire, cet homme de la terre sait où est l’épreuve véritable, hors des fictions. La beauté de la vie est dans sa céramique, aussi simplement que l’hiver prépare le printemps. La terre le remercie du respect qu’il lui témoigne, elle lui rend son salut, transcendant son rêve utopique avec un grand sourire de connivence.

Jacques G. Peiffer
Docteur ès sciences des céramiques, Université de Nancy

 

 

 

Presentation of Jacques G. Peiffer

Long before the invention of ceramics, the mother rock existed, and her strata revealed a long history of evolution, resulting from the powerful metabolic effects of time. Then came Man, who initiated the awakening of consciousness at the dawn of time.

Our ancestors had a profound conception of the material and spiritual worlds. Searching for answers to the alpha and omega they enquired into science, philosophy and metaphysics. Responding to a spiritual desire, they used the clay to sculpt Venus figurines for worship. They also transformed the clay to satisfy their material needs, inventing everything necessary to transport water and facilitate cooking. They questioned the clay and the clay responded. Together they conceived the ritual vase, the bowl and the jar.

Many centuries passed and on every continent each civilisation used its ingenuity to develop ceramic production techniques adapted to the available mineral resources. Terra sigillata, majolica, slipware, pipe clay, natural and artificial porcelains, earthenware, parian, clay from Lorraine known as marble paste, raku tenmoku, celadon, firings at low or high temperatures and neoceramics, traditional handmade techniques, industrial applications and the use of new technologies all constituted an immense field of experimentation, innovation and application.

Into this everlasting foundation of humanity where the absolute does not exist, Dalloun arrived with his principles, bearing his humanistic values with characteristic love and passion, investing the clay with the power to show us the consequences of human actions. While marking the presence of the past, the form of his bowls retains the essence of a fundamental vessel, that of a reliquary whose teleological meaning is inscribed through asceticism and spirituality. This virtual space, far from being empty, vibrates with a thousand different existences protecting the surface of the clay.

This becomes universal because it is first and foremost a language whose transcription is older than hieroglyphic writing or cuneiform graphics.

Impartial witness to the passage of time, Dalloun leaves stratification marks and traces of mineral disintegration visible in the clay, patiently revealing the geological process through the maturation of fire. Placing his trust in an existential dimension, through his ceramics, Dalloun the idealist combines his knowledge of the clay with the intuitive act. He draws an ethical reflection linking it to worldly concerns, a solution which expresses itself wholly and without compromise in his ceramics which counterbalance the excesses of intrusive art.

It is here that his values come together and find form, combining the fragility of nature with the force of human intervention, nature with nurture, a rare and singular rapport with the power of thought which conserves the traces of knowledge that drive us towards an undefined yet infinite future.

What Dalloun introduces into his ceramics borders upon semiotics. His writing evokes the search for a language whose syntax is expressed through minerals and fire. In his own way he interweaves the different elements, forging the essential meaning of his oeuvre: the form born from the sensual delight felt by the hand that feeds the space, then the earthy skin which vitrifies, becomes silky or polished, burns itself and cracks or chaps in delicate quivers or thrills. No spectral colour disturbs this ceramic work made of mysterious and unfathomable nuances. The clay is at its most pure, without artifice, subtly oxidised by the presence of infinitesimal stardust. 

It is neither using traditional technical methods nor through contemporary art that Dalloun bases his art: it is elsewhere and within, perhaps at the bottom of the woods, close to our hearts. Such a free and kindly spirit knows intuitively where the tutelary wisdom can be found and shows us an uncertain yet salutary path. This man of the earth knows where the true test of time is, without fiction. All the beauty of life is in Dalloun’s ceramics, as simply as Spring follows Winter. The clay thanks him for the respect that he gives it, the clay salutes him, transcending his utopian dream with a big smile of complicity.

Jacques G. Peiffer
D.Sc. ceramics, University of Nancy